Dr. Octagonecologyst (1996) – 111 jours, 474 albums

Dr. Octagon - Dr. OctagonecologystL’univers rap du Dr. Octogon est terrifiante. Tout Dr. Octagonecologyst est lugubre, sombre et grinçante comme peut l’être le mélange de la folie et de la médecine.

Je n’ai pas aimé écouter cet album. Toute sa musique crée le malaise et fait frissonner. On a l’impression d’entendre les élucubrations d’un chirurgien dérangé, opérant dans les sous-sols insalubres d’un manoir hanté. Mais pour la puissance de son ambiance, il s’agit à coup sûr d’un chef-d’œuvre… dans ses propres termes.

Si vous appréciez le rap et que vous êtes vous-mêmes un peu dérangé, vous y trouverez votre compte. Pour les autres, cœurs fragiles s’abstenir.

I See a Darkness (1999) – 284 jours, 544 albums

Gris, lourd, déprimant: pour l’album I See a Darkness de Bonnie « Prince » Billy, ces adjectifs sont des compliments. Et pourtant, ce country alternatif parsemé de rock indie a quelque chose de profondément lumineux. Un peu comme la minuscule flamme d’une chandelle plongée dans l’obscurité.

Bonnie %22Prince%22 Billy - I See a Darkness

On sent le country, mais à peine. Il se cache dans l’ambiance dépressive, dans certaines inflexions de la voix, mais on est loin du honky tonk et des campagnes de Buck Owens. L’émotion n’en est pas moins viscérale et déchirante. La montée finale de Nomadic Revery (All Around) donne la chaire de poule. Et pourtant, le début est introspectif, méditatif. C’est le cri d’une âme désespérée et affaiblie.

On sent aussi le rock, mais plutôt le goth rock et ses paysages sombres, rappelant un morceau punk qui aurait perdu son énergie et sa vitalité. Sur Death to Everyone, c’est à s’y confondre. La dépression est rendue admirablement belle.

Il subsiste tout de même un quelque chose de pop, d’abordable, de presque badin dans certains morceaux, et qui contraste avec l’ombre qui plane sur cet album. A Minor Place est entre la balade et le chagrin sur le bord de déborder. Madeleine-Mary est l’assemblage parfait entre une mélodie rock et les blessures lamentables du country.

Avec un tel exercice musical, le country vient définitivement toucher au cœur: on comprend plus que jamais sa pertinence, sa profondeur et sa force narrative et émotive.

Deserter’s Songs (1998) – 382 jours, 558 albums

Un psychédélisme renouvelé mêlé à de la pop rêveuse, mais avec une ambiance étrange, conviée par les vibrations d’une égoïne, d’une voix anémique et de mélodies pianotées comme des valses voilées et funèbres : voilà ce qu’offre l’album Deserter’s Songs du groupe Mercury Rev.

Mercury Rev - Deserter's Songs

 

Donc, un néo-psychédélisme sombre et une dream pop légère, presque naïve. Les deux juxtaposés et mêlés donnent un résultat à la fois envoûtant (mais pas trop) et insécurisant. On ne plonge pas dans l’album : on semble flotter à sa surface, en admirant les reflets sombres et lunaires de l’eau. L’égoïne, qui est par exemple dans Holes et dans Endlessly, a quelque chose de fantomatique, et la mauvais qualité, qui rappelle un gramophone sur I Collect Coins, donne dans la nostalgie. Et à travers tout ça, une pop légère ressort, qui nous ramène dans les sixties, avec une énergie juvénile et candide.

Opus 40 offre un peu de tout ça, et est une véritable douceur pour les oreilles.

Goddess on a Hiway est du même genre, avec sa mélodie accrocheuse, sa complexité intrigante et son piano vibrant. Holes ouvre l’album comme un bal étrange, un peu brumeux mais à peine, alors que Tonite It Shows ressemble à une valse funèbre, triste.

À travers ses morceaux un brin désarticulés, l’album nous fait voir un bien étrange kaléidoscope : un qui fait voir des formes extravagantes, mais en noir et blanc.

Either/Or (1997) – 477 jours, 630 albums

Sans trop changer de style, mais tout de même en écoutant quelque chose de différent, j’ai mis dans mes oreilles l’album indie et sadcore de Elliott Smith Either/Or.

Elliott Smith - Either Or

Le sadcore, c’est une musique sombre, dépressive, alimentée par la guitare acoustique et sa texture, et par cette touche si unique du indie. Le rythme est lent, pesé. Mais on ne tombe pas dans la déchirure de l’âme non plus. C’est une sorte de dépression douce, lente, calme, qui me rappelle les paysages glauques et sombre du goth rock, mais en plus pop, en plus folk, et avec cette énergie personnelle apportée par le indie. Premier morceau marquant de l’album : Speed Trials.

Je le trouve accrocheur et mémorable. Et tout l’album a cette atmosphère pesante, un peu larmoyante et étouffée, qui est d’une beauté époustouflante. Plus loin, c’est Pictures of Me qu’il ne faut pas rater.

Il est plus énergique, plus mordant, et je pourrais l’écouter en boucle des heures durant. Enfin, Cupid’s Trick est quant à lui poignant, nous touchant droit au coeur.

Il y a en anglais une expression qui définit parfaitement cette musique : hauntingly beautiful. Une beauté qui hante, qui nous possède et nous obsède. Voilà comment je définirais Elliott Smith, à la lumière de cet album.

The Virgin Suicides (2000) – 490 jours, 635 albums

Je n’ai pas pu attendre bien longtemps avant d’écouter un second album du groupe Air. Leur capacité à créer des ambiances riches de trip-hop et d’ambient pop m’a tout simplement séduit. J’ai donc écouté The Virgin Suicides.

Air - The Virgin Suicides

Comme vous vous en doutez, il s’agit de la trame sonore du film de Sofia Coppola. Et comme dans le film, l’ambiance est lourde, glauque, et quelque peu éthérée. Il aurait été difficile de choisir un meilleur groupe pour nous plonger dans l’esprit tourmenté de ces jeunes filles, et dans l’ambiance de cette tragédie. L’album s’ouvre sur Playground Love, qui débute avec un son qui rappelle celui d’une horloge, comme si, déjà, le temps était compté.

On sent aussi l’ombre qui se dégage du saxophone lyrique, et la voix basse, presque étouffée, qui semble nous susurrer cette histoire à l’oreille.

Ensuite, beaucoup des morceaux sont avant tout des morceaux d’ambiance, se rapprochant ainsi davantage du ambient pop. Cemetary Party est l’un d’eux, avec son air sombre, ses chants à peine prononcés d’opéra, et son ton à la fois solennel et tragique, mais sans devenir lyrique. Un peu plus loin, il y a également Dirty Trip et son atmosphère mystérieuse à souhait. Mais je dois dire que c’est davantage Highschool Lover qui a retenu mon attention.

Sinon, l’album était fort appréciable, comme le film, mais n’égalait certes pas la virtuosité de Moon Safari. Mais je crois, de toute manière, que ce n’était pas ici l’objectif. C’était plutôt de nous plonger dans cette histoire, dans cette ambiance, et de nous la faire vivre de manière à la fois intense et délicate. Et pour ça, Air a rempli son contrat.

Tical (1994) – 520 jours, 644 albums

Un autre album de rap : Tical de Method Man. Il faut bien les écouter… Mais au moins, cette fois, ce n’est pas du gangsta rap.

Method Man - Tical

Disons qu’après les albums de Dr. Dre et de Snoop Dogg, mon estime du rap a quelque peu diminué. Mais je dois me rappeler qu’il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain, ou tout le hip hop et le rap avec un seul de ses styles que j’ai plus de difficulté à apprécier. Et pour ça, Method Man m’a plutôt aidé que nui. Son ambiance plus sombre et l’esthétisme en un sens plus sobre de ses morceaux m’ont intrigué dès le début, dès le morceau éponyme qui ouvre l’album. Avec All I Need, cette curiosité s’est transformé en intérêt.

Cela dit, j’ai toujours de la difficulté à pleinement saisir et à apprécier le rap. L’esthétisme qui l’entoure me semble plus accessible, plus attrayant que les textes, parfois vulgaires, souvent trop urbains pour moi, qui y sont supportés. Meth Vs. Chef a également un certain attrait, comme Release Yo’ Delf, dans une certaine mesure. I Get My Thang in Action est plus dans mon style, toujours avec le ton mystérieux, sombre. Enfin, il y a l’incisif Mr. Sandman.

Avec la voix d’opéra, cette sonorité étrange qui ressemble à une cloche d’église ou à un orgue, le morceau nous plonge dans une messe étrange, terrifiante, mais qui n’est pas sans attrait.

Pour le reste, je ne fus ni déçu ni trop satisfait par cet album. Il s’agit simplement d’une autre découverte qui méritait son temps, mais qui ne fera pas partie de mes recommandations auprès de mes amis. Sauf, peut-être, s’ils sont fans de rap.

Dummy (1994) – 605 jours, 701 albums

Poursuivant dans le trip-hop, j’ai écouté Dummy du groupe Portishead.

Portishead - Dummy

J’étais déjà familier avec le groupe et leur oeuvre, mais bien franchement, je n’y avais pas vraiment vu d’intérêt. Mais maintenant, 1 an et demi plus tard, je dois également avouer que leur travail a gagné beaucoup de pertinence à mes oreilles. Cette atmosphère calme, ce rythme lent et languissant, cette instrumentation minimaliste et pourtant amplement suffisante : il y a bien ici quelques trucs à apprécier, à savourer. Et cela débute dès l’album. Mais pour vous plonger dans l’ambiance, je vais plutôt vous faire écouter It Could Be Sweet.

Je trouve que c’est la plus représentative de l’album. Mais dès les premiers morceaux, dès le mystérieux Mysterions et le suspect Sour Times, l’album et son ambiance sont lancés. Enfin, beaucoup des morceaux ont cette atmosphère lugubre, dense, mais sans être lourde; cette atmosphère de film noir, de détective ou de suspense élégant. C’est un peu la même chose sur It’s a Fire, tout comme sur le plus intense, émotionnellement, Roads. Mais dans cet effet, je préfère Sour Times.

Certains ont des débuts ou des rythmes plus secs, plus clairs, rappelant ainsi l’esthétisme du rap, mais sans ses désagréments possibles. Biscuit en est un bon exemple.

Ainsi, avec une ambiance aussi détendue et lente, languissante, j’ai eu l’impression de redécouvrir certains éléments du kraut rock à la Kraftwerk, mais cette fois avec l’émotion en plus, la tension et l’intensité se manifestant dans la simplicité. Avec certains éléments du rap, le mélange est ainsi parfait.

Loveless (1991) – 606 jours, 703 albums

Ce n’est pas parce que le grunge est né que le noise rock est mort. La preuve est faite avec un autre album de My bloody Valentine : Loveless.

My Bloody Valentine - Loveless

Avec leur mélange toujours aussi parfait de noise rock et de dream pop, My Bloody Valentine crée encore une fois une atmosphère à la fois dense et légère, hypnotique et libératrice. En ouvrant leur album avec Only Shallow, ils montrent qu’ils seront doux, mais sans concession.

Sans concession, par leur son saturé et exigeant, mais aussi doux, grâce à leur ambiance éthérée, aérienne. Plus loin, avec To Here Knows When, il nous est d’ailleurs présenté un long paysage lourd mais clair, qui pèse un peu, mais qui permet ainsi de se plonger dans une rêverie sans borne. Le fond de grésillement opaque rend le morceau plus hypnotique encore. Juste après, When You Sleep reprend un ton plus pop, mais toujours en conservant cette marque si caractéristique, et si unique, au groupe.

Plus loin, il y a aussi le languissant ou indolent Come In Alone, puis Blown a Wish qui s’inspire des balades, le plus métallique et chaotique mais sans trop What You Want, et enfin Soon qui sait conclure l’album de belle façon.

Certes, la musique de My Bloody Valentine n’est pas accessible du premier coup, et peut même être assez exigeante, mais elle en vaut véritablement la peine. Ce mélange à la fois rêveur et tourmenté est un véritable charme, pour qui sait comment écouter.

Pornography (1982) – 615 jours, 718 albums

Petit retour en arrière, après que je me sois rendu compte que je n’avais pas écouté Pornography de The Cure. C’est désormais chose faite.

The Cure - Pornography

Alors que le groupe m’avait déjà époustouflé avec Seventeen Seconds, ici, il est encore plus saisissant et pénétrant. On sent une certaine maturité de plus, et comme vient ainsi une maîtrise certaine, cela permet une audace de plus, permettant au groupe d’accéder à de nouvelles idées, de nouvelles paysages musicaux, de nouvelles ambiances. Alors que l’autre album débutait par un long morceau, calme et contemplatif, celui-ci nous offre plutôt One Hundred Years.

Un son complexe et texturé, mais aussi, et surtout, tourmenté, sombre, ténébreux. Avec The Hanging Garden, c’est un son presque pop qui nous accueille. L’ambiance demeure bien ancrée dans le goth rock, mais le rythme est quand même plus insistant, plus présent surtout. On voit que le groupe veut aller plus loin. Avec The Figurehead, on sent un retour aux sources, plus expressif certes, mais allant puiser son énergie aux ténèbres les plus profondes de la psyché humaine.

Dommage que le goth rock se soit évanoui si tôt, alors qu’il contenait une intensité si particulière, et exprimée avec un drame incomparable. Une chose est certaine : suite à ce défi, je ferai quelques recherches de plus sur ce style méconnu.

Tank Battles: Songs of Hanns Eisler (1988) – 620 jours, 723 albums

J’ai ensuite découvert un album plutôt particulier, d’une chanteuse presque indéfinissable. Avec un semblant de base classique, mais avec une déconstruction et une décadence dans les formes, Tank Battles: Songs of Hanns Eisler de Dagmar Krause m’a bien surpris.

Dagmar Krause - Tank Battles - Songs of Hanns Eisler

En fait, l’album m’a laissé à la fois perplexe et fasciné. Une sorte d’opéra allemand, mais discordant, qui m’a rappelé certains albums de free jazz, ou The Trial de l’album The Mad Hatter, de Chick Corea. Un monde musical habité par la tourmente, la déconstruction, bizarrerie, et juste un brin de folie, avec des décors dénudés par des arrangements musicaux simples, mais d’une luminosité perçante, aux pourtours sombres, avec des formes qui sortent à l’occasion de l’ombre, ou s’y fondent de nouveau : voilà, en gros, ce que nous présente Krause. Pour vous faire une meilleure idée, écoutez donc The Ballad of the Sackslingers. En voici une version live.

Ce morceau est plus mélodieux que beaucoup d’autres sur l’album. Et c’est ce qui fait la force de Krause : de pouvoir marier les deux, rendant ainsi le contraste encore plus saisissant qu’on ne le croirait possible. Et, de la manière qu’elle mêle harmonieux et discordant, elle mêle les tempos, passant de rapide à lent, de lent à rapide, nous surprenant à tous les tournants.

Comme l’album compte pas moins que 36 morceaux, en voici quelques uns sur lesquels vous devriez vous attarder davantage : le long et complexe Lied Von Der Belebeden Wirkung des Geldes, le très harmonieux et doux Chanson Allemande, le tragique Song of a German Mother, le triomphant Bankenlied, puis enfin The Wise Woman and the Soldier au style de musical. Après ce morceau, l’album perd un peu de sa saveur, ou de son originalité. Mais avant de terminer ma critique, il faut que vous écoutiez The Song of the Whitewash, qui ouvre l’album de la plus belle façon possible, en vous plongeant dans l’atmosphère sans aucun compromis. La qualité de cette vidéo n’est pas géniale, mais c’est définitivement l’autre morceau de l’album que vous devez écouter.